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MÉPHISTOPHÉLA

comme les autres, ne devait pas devenir comme les autres. Sophor était presque heureuse d’avoir, par ignorance, épargné le virginal abandon ; s’il lui avait été donné de la reprendre, de la ravoir comme elle l’avait eue, sur le lit, dans la maison de bois, elle se serait efforcée, — malgré l’emportement des convoitises — d’oublier tout ce qu’elle avait appris, pour ne le lui point apprendre. Mais, de s’être épuré dans l’expérience même du péché, son amour pour la disparue n’en était pas moins grand, et, très souvent, dans les amusements des promenades, des dîners, du théâtre, même dans les ravissements des nuits, elle songeait à l’enfant préservée. Seulement, elle ne voulait pas la revoir, ne la revoyait pas dans l’île, aux heures périlleuses de la solitude ; elle éloignait la souvenance des pieds nus dans le ruisseau, du cher corps sacré sur la couche qui aurait pu être sacrilège. De leur amitié, elle n’évoquait que les candeurs puériles, les jeux dans les jardins ; même elle avait comme une peur de penser à leurs dévotions trop passionnées, aux ivresses trop ardentes des musiques, les soirs. Depuis qu’elle avait Magalo, elle se contraignait à ne pas désirer d’Emmeline ce que maintenant elle savait en avoir désiré naguère,