Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/270

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
260
MÉPHISTOPHÉLA

qui a servi à d’autres, prêtée par une camarade ou louée chez quelque marchande à la toilette. Qui donc, cette petite, mal fagottée ? Magalo. À travers une dentelle qu’elle avait tirée jusqu’au milieu de son visage, on aurait pu voir luire, au bout des cils, une larme qui allait tomber, et quelquefois elle portait très vite à sa bouche un mouchoir qu’elle mordait pour ne pas crier.

Mais Sophor ne s’inquiétait pas de cette petite créature douloureuse. Elle régnait, rayonnante. Même quand ils s’arrêtaient sur la nudité des épaules et des poitrines, ses yeux restaient durs, n’attendrissaient pas leur impérieuse maîtrise. Ils s’emparaient, semblait-il, des belles créatures, ne disaient pas : « Veux-tu ? » disaient : « Je veux. » Aucune prière. Ils étaient tyranniques, n’admettaient point que l’on pût se dérober à eux. Regards d’un conquérant sur la multitude des vaincus, qui lui appartient ; de Don Juan sur une foule féminine, qui lui appartiendra. Et beaucoup de femmes se troublaient, rougissantes, un peu essoufflées ; elles se sentaient, par les jets pointus de ces prunelles, comme par des ongles de feu, dégrafées, dévêtues ; elles faisaient, inconsciemment, le geste de ramener sur elles des étoffes, se tournaient d’un autre côté. Une très belle personne du corps de ballet de