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MÉPHISTOPHÉLA

compartiment vide, y monta, s’assit dans un coin ; après quelques minutes, le train s’ébranla dans un bruit de sifflets et d’eau précipitée. Et Sophie ne pensait presque plus, rompue par la crise nocturne et par tant de tortures. Dans ce repos enfin, que berçait le roulis, elle laissait aller son esprit à vau-l’eau d’une vague et désolée rêverie. Plus tard — se souvenant de cette matinée, — elle se demanda plus d’une fois, avec étonnement, pourquoi elle ne s’était pas tuée ; ce fut sans doute l’excès de sa lassitude après tant de supplices physiques et moraux qui la sauva du désespoir actif ; elle n’aurait pas eu l’énergie de mourir. Quant à ce qu’elle ferait à Paris, elle n’y songeait point. Dans sa tête, dans son cœur, il lui semblait qu’il y avait comme un vide très profond, très obscur, avec des apparitions çà et là de choses vaines et de vagues êtres ; un cimetière désert et fuligineux où hantent des fantômes. Et de plus en plus, elle s’affaiblissait, s’amollissait, s’enlizait dans la paresse de ses mélancolies.

Un arrêt du train ne la tira pas de cette torpeur, mais elle tourna la tête à cause d’une femme qui entra et s’assit à l’autre bout du wagon dans la turbulence gaie d’une robe de toutes les couleurs. Une femme très drôle, avec de petits cheveux rouges partout. Sophie reconnut l’une des