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MÉPHISTOPHÉLA

Cette lettre, Sophie la porta à sa bouche et la mordit et la déchira toute avec des dents féroces.

Une espèce de devoir français sur la nécessité d’être bien sage, bien obéissante à sa famille, à son mari, voilà ce qu’Emmeline, en la quittant, lui avait envoyé en manière d’adieu !

Mais, la lettre, ce n’était rien : il y avait cette chose abominable que la malheureuse était partie — et ne reviendrait pas ! car, là-bas, on la garderait étroitement ; puis, même mal gardée, elle ne reviendrait pas puisqu’elle s’en était allée de son plein gré ; il semblait à Sophie que deux mains lui avaient ouvert le cœur et que grouillait dans la déchirure une bête armée de dents et de griffes, mordante et lacérante.

Elle se mit à tourner dans le jardinet, autour de la maison. Seule ! seule ! elle était seule ! Ce qui la dominait, ce qui était plus fort en elle que tous les autres sentiments, c’était une fureur contre la lâche enfant qui l’avait laissée. Donc, pendant quatorze ans, elles ne s’étaient pas quittées : elles avaient grandi ensemble, joué ensemble, ensemble elles avaient appris à penser, à vivre ; et, sept jours, dans cette solitude, elles avaient été si heureuses que leurs puériles rêveries, jadis, n’avaient pas osé supposer de tels bonheurs aux