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MÉPHISTOPHÉLA

c’était le baiser ! et il fut, ce baiser, si long, si profond, si tenace, qu’Emmeline, un moment résistante et roidie et tendant tout le corps, soudain s’abandonna comme une branche casse ou plie, et défaillit, les deux yeux fixes. D’un autre baiser, Sophie acharnée l’obligea de revivre. Et elle ne pensait plus à rien, sinon à cette bouche qu’elle avait sous sa bouche. Il lui entrait dans tout l’être des chaleurs, des fragrances, une délectation infinie. Ah ! ces lèvres, et, entre ces lèvres, ces dents ! Elle exultait, se divinisait. Quelle joie ! et quel orgueil de sentir son ivresse subie par Emmeline mourante et renaissante ! Rarement leurs bouches s’écartaient pour le passage de soupirs ou de paroles qui, en avouant le délice, le redoublaient. « Comme tes lèvres sentent bon, ma chérie, et comme il en vient une moiteur qui enivre ! On dirait que l’on boit le sang d’une petite grappe vivante. Je ne leur fais pas trop de mal, avec mes dents ? j’ai peur d’être méchante, sans le vouloir. Ne t’en va pas ; si je ne t’ai pas fait de mal, reviens. » Les deux bouches se rejoignirent comme deux belles roses très écloses qu’on enfoncerait l’une dans l’autre, et les regards languissamment s’éteignirent. Sophie parla encore : « Es-tu heureuse, dis ? Te sens-tu très heureuse ? » L’autre répondit d’une acceptation plus ardente