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MÉPHISTOPHÉLA

sus, les enveloppait d’un cristal glissant ou brisé. Ils étaient exquis, d’être si menus et si fins ; le talon était couleur d’ambre ; le pouce un peu écarté avait un ongle d’or ; les autres doigts, plus gras, se recourbaient à peine ; sur la peau très lisse, çà et là rosée, couraient des veines bleues. Sophie, retombée à genoux, regardait ces chers pieds nus. Elle se penchait de plus en plus comme si elle eût voulu boire le flot qui les mouillait.

Il était très froid, ce flot.

— L’eau est glacée ! dit Emmeline. Sûrement je serai malade. Tu as toujours de mauvaises idées.

Mais Sophie :

— Attends, attends. Tu verras, ce sera moins froid.

Tout à fait inclinée elle avait pris dans une seule main les deux petits pieds et, de ses lèvres ouvertes, elle aspirait de l’eau, qu’ensuite elle laissait choir, d’un peu loin, sur les beaux petits pieds nus, toute chaleureuse de sa bouche, comme un baiser ruisselant. Alors une brûlure, douce pourtant, l’ayant toute parcourue de l’orteil à la gorge, Emmeline, avec un cri qui expire en plainte, s’abattit en arrière, les yeux éteints sous le battement des cils, et Sophie,