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MÉPHISTOPHÉLA

Dans une rapide clairvoyance, elle songea que tout le monde dormait, des deux côtés du double jardin, dans les maisons voisines ; que le baron Jean, saoul de sa sale victoire, cuvant son ignoble joie, n’avait pas dû s’éveiller ; elle reviendrait chez elle, — elle se rappela qu’elle n’avait pas repoussé le vantail — traverserait les jardins ; quant à entrer chez Mme d’Hermelinge, rien de plus aisé ; à cause de la grille solide, et des hauts murs hérissés de chardons de fer, on négligeait presque toujours de fermer la porte-fenêtre du perron et, de l’autre côté de cette porte, Sophie n’aurait pas besoin de lumière pour trouver la chambre d’Emmeline. Elle revint très vite sur ses pas, le long des murs.

La pluie n’avait pas cessé de tomber, fine et drue. Tout à l’heure, en s’enfuyant, Sophie s’était déjà réjouie de l’averse, mais elle ne s’était pas sentie assez mouillée, comme si sa fièvre buvait l’eau. À présent son peignoir l’enveloppait d’une caresse glacée qui lui était agréable, l’apaisait, la rassérénait, lui mettait sur le corps — sur son triste corps meurtri — une sensation de propreté, de santé, lui mettait aussi dans l’esprit une fraîcheur pure ; de sorte qu’elle se demandait si ce bien-être lui venait de la pluie ou de la proximité de voir Emmeline.