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MÉPHISTOPHÉLA

la bouche ; et la paix de la tombe est la même après les diverses morts. Justement elle se trouva devant la voie du chemin de fer. Même aux heures nocturnes des trains passent. Se hisser par-dessus la haie et se coucher sur les rails, attendre la locomotive avec son œil au ventre, tout rouge dans la nuit, être brisée, rompue, aplatie sous le tonitruant passage de la machine et des wagons, puis ne plus penser, ne plus se mouvoir, espèce de chiffon de chair sanglante, c’était possible, c’était offert ; et, folle à cause du lit derrière elle, elle allait franchir la haie, lorsque elle se souvint d’Emmeline. Déjà, pendant les hideurs de cette nuit, pendant cette fuite vers le salutaire trépas, elle avait songé à la très pure et très douce enfant qui, à cette heure, dormait, sans mauvais rêves, en son lit de jeune fille, inviolé. Oui, souvent, dans ses angoisses, la pensée de son amie s’était glissée comme il entrerait de l’aurore dans une chambre pleine de ténèbres et de spectres. Mais elle l’avait repoussée, de peur d’y trouver trop de charme et d’alanguir en cette douceur, en les réminiscences tendres de leur enfance, la force de chercher dans la mort l’oubli de l’abominable hymen. Elle ne voulait plus aimer la vie ; il fallait donc qu’elle écartât de son esprit et de son