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LA MÉMOIRE DU CŒUR

L’amoureux de la morte ne sortait point de sa mélancolie ; il n’avait d’attention que pour le charme silencieux du portrait. Une fois, cependant, — c’était à l’heure où l’aube teint de rose et de bleu les vitres, — il se tourna vers la croisée, écoutant une chanson qui passait, une chanson grêle et frêle, jolie et matinale comme un tireli d’alouette. Il fit quelques pas, étonné, colla le front à la vitre, regarda. Il eut peine à retenir un cri d’aise ! il n’avait jamais rien vu d’aussi charmant que cette petite bergère menant aux champs son troupeau de moutons. Elle était blonde au point que ses cheveux doraient le soleil plutôt qu’ils n’en étaient dorés. Elle avait le front un peu bas, rose comme les jeunes roses, les yeux clairs, d’une clarté d’aurore, et sa bouche riait si étroite que, même ouverte par la chanson, elle laissait voir à peine cinq ou six petites perles. Mais le roi, tout charmé qu’il fût, se déroba à ce spectacle, mettant ses mains sur ses paupières closes, et, tout honteux de s’être un instant détourné de la belle défunte, il revint vers le portrait, s’agenouilla, pleurant de