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LA TIRE-LIRE

cour, illustres et parées, — « moins jolies que toi », lui disait le miroir de la source, — pouvaient voir presque à toute heure le beau prince au lumineux visage ; qu’il s’approchait d’elles, qu’il leur parlait, qu’il leur souriait ; avant peu de temps sans doute, quelque glorieuse jeune fille, venue de Trébizonde dans une litière portée par un éléphant blanc à la trompe dorée, épouserait le fils du Roi. Elle, cependant, la mendiante du chemin sans passants, elle continûrait de vivre, — puisque c’est vivre que de mourir un peu tous les jours, — dans cette solitude, dans cette misère, loin de lui qu’elle aimait si tendrement ; elle ne le reverrait jamais, jamais ! La nuit des royales noces, elle coucherait dans son arbre, sur une branche, non loin des écureuils ; et, tandis que les époux s’embrasseraient par amour, elle mordrait de rage la dure écorce du chêne. De rage ? non. Si douloureuse, elle n’avait pas de colère ; son plus grand chagrin était de penser que le fils du Roi, peut-être, ne serait pas aimé par la princesse de Trébizonde autant qu’il l’était par elle, pauvre fille.