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HISTOIRE D’UN DÉMÉNAGEMENT.

voiture et le brusque enlèvement des meubles, n’avait pas osé résister, mais le propriétaire, averti sans doute par quelque pressentiment, était survenu, et de là la bagarre.

Or, le locataire était un homme tenace. Lui-même, sur ses épaules — car les déménageurs gardaient une neutralité prudente — il porta son dernier meuble qui était une table de nuit. Elle allait disparaître derrière les toiles noires, quand le propriétaire, pareil à un avare que l’on dépouille de son trésor, la saisit et la déposa sur le trottoir. Le locataire la reprit et la replaça dans la charrette. Le propriétaire recommença sa manœuvre, le locataire ne renonça pas à la sienne. Enfin, au milieu des rires grandissants, ils empoignèrent tous deux à la fois l’objet en litige, l’enlacèrent, le pressèrent, et pendant ce temps, la porte de la table s’ouvrit, quelque chose de fragile s’en échappa, et les habitants de la rue Richer purent croire qu’ils assistaient à une scène de pantomime, au théâtre des Funambules. C’est alors que le locataire fit voir qu’il était un homme capable de résolution ! Profitant de la surprise du propriétaire, il lança d’un bras viril la table dans la charrette, bondit sur le siège, fouetta les chevaux, et disparut au grand galop des trois rosses, poursuivi par les acclamations des passants, par les cris des déménageurs et par la malédiction du propriétaire, qui, bientôt, demeura seul devant la porte de sa maison, tendant ses poings fermés et murmurant : Brigand !