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SUITE DE LA CAUSERIE.

mandie, ou dans les plaines de la Beauce, tandis que, moi, accompagné de vos vœux, je faisais les cent pas, par les nuits froides, dans la boue des fortifications. Mais je ne blâme pas les émigrés ; chacun est libre d’agir à sa guise. Ce que je blâme, c’est que, maintenant, vous me disiez : « Pendant sept ou huit mois, vous n’avez pas travaillé, et vous avez été obligé d’engager vos matelas pour nourrir votre femme et vos enfants. Pauvre homme ! je vous plains de tout mon cœur ; faites-moi l’amitié de me payer trois termes. » Ah ! non, mille fois non. Cette exigence est absurde, coupable, grotesque, et je déclare que s’il n’y avait pas de compromis possible entre la loi strictement exécutée et le décret de la Commune, je préférerais sans hésitation celui-ci à celle-là ; oui, je préférerais voir un peu de gêne, de misère si vous le voulez, remplacer momentanément la longue aisance d’un groupe, en somme peu nombreux, d’individus, que de voir vendre aux enchères, à vil prix, la dernière armoire et le dernier buffet vide de cinq cent mille meurt-de-faim.

Mais il doit y avoir un moyen de concilier les intérêts des locataires et des propriétaires. Accorder des délais aux premiers, forcer les seconds à attendre, cela suffirat-il ? Je ne crois pas. Me donneriez-vous trois ans pour acquitter trois termes, je ne demeurerais pas moins dans l’embarras. L’outil de l’artisan n’est pas comme le champ du paysan, qui rapporte davantage quand on l’a laissé quelque temps en jachère. Pendant les tristes mois qui viennent de s’écouler, pendant ces mois où je n’ai pas travaillé, j’ai dû, pour vivre, escompter mon travail futur, et c’est à un avenir déjà grevé par un