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À L’HÔTEL DE VILLE.

homme politique, je suis un passant qui voit, écoute et éprouve.

J’étais sur la place de l’Hôtel-de-Ville à l’heure où ont été proclamés les noms des membres de la Commune, et j’écris ces lignes tout ému encore.

Combien d’hommes étaient là ? Cent mille peut-être. D’où venus ? De tous les points de la cité. Les rues voisines regorgeaient d’hommes armés, et les baïonnettes aiguës, étincelant au soleil, faisaient ressembler la place à un champ d’éclairs.

Au milieu de la façade de l’hôtel, s’élève une estrade que domine un buste de la République coiffée du bonnet phrygien ; on a voilé de drapeaux le Henri IV de bronze. Aux fenêtres, des grappes vivantes. Des femmes sur le toit, des enfants accrochés aux sculptures de l’édifice, ou à cheval, dans les médaillons, sur la nuque des bustes.

Un à un les bataillons s’étaient rangés sur la place, en bon ordre, musiques en tête.

Ces musiques jouaient la Marseillaise, reprise en chœur par cinquante mille voix résolues ; ce tonnerre vocal secouait toutes les âmes, et la grande chanson, démodée par nos défaites, avait retrouvé un instant son antique énergie.

Tout à coup, le canon. La chanson redouble, formidable ; une immense houle d’étendards, de baïonnettes et de képis, va, vient, ondule, se resserre devant l’estrade. Le canon tonne toujours, mais on ne l’entend que dans les intervalles du chant. Puis tous les bruits si fondent dans une acclamation unique, voix universelle de l’innombrable multitude, et tous ces hommes n’on qu’un cœur comme ils n’ont qu’une voix.