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UN POLTRON BRAVE.

coupable dans son projet. Je le connaissais depuis plusieurs mois ; il loge dans la rue où j’habite ; il a femme et enfants. N’avait-il pas un peu le droit de songer à protéger sa vie ? Je songeai un instant à cela, puis je n’y songeai plus.

Vers quatre heures du matin, il y eut une alarme encore ; en un clin d’œil tout le monde fut sur pied ; on enjamba les escaliers, on se précipita aux fenêtres. La maison qui avait été assignée à mon escouade était celle justement qui avait inspiré à mon camarade son projet d’évasion. Je le trouvai arrivé avant moi dans la chambre d’où nous devions faire feu.

— Ah ! vous ne savez pas ce que j’ai fait ? me dit-il.

— Non.

— Eh bien ! la porte dont je vous ai parlé, la porte qui ouvre sur le passage, vous vous rappelez ?

— Parfaitement.

— Il y avait une clé à cette porte ; je lui ai fait faire deux tours dans la serrure, et je suis allé la jeter dans le trou de l’égout. Ah ! ah ! celui qui voudrait s’échapper par là serait bien attrapé.

Je serrai la main de ce brave homme ; il était tout joyeux, et j’étais fort content aussi. Si profond que soit l’abaissement momentané de la France, il serait absurde de désespérer d’un pays où les poltrons même sont braves !

XIV.

Vendredi 24 mars, à neuf heures du matin, nous sommes encore dans le quartier de la Bourse ; il y a des