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LE MATIN.

ront éternelles, et où le désir de la clarté devient un désespoir. Mais jamais aurore ne m’a été plus douce que celle qui a suivi cette horrible nuit. Tout danger de collision disparaissait-il avec l’ombre ? Non certes. Il se pouvait que les fédérés, pour nous attaquer, eussent attendu le matin, c’est-à-dire l’heure où la fatigue est la plus grande, la somnolence presque invincible, et la surveillance, par conséquent, moins active. Cependant le jour nous rassurait ; il nous semblait que le crime de la guerre civile n’oserait pas se produire en pleine clarté. Nous avions eu peur de la nuit ; la nuit était passée ; nous nous sentions plus légers, presque heureux.

Pourtant, tout le monde ne partageait pas cette confiance. Je me souviens d’un incident qui m’a fait sourire.

Un peu avant le jour, un de nos compagnons, couché à côté de moi, s’était levé. Il fit longtemps les cent pas dans la rue, comme pour secouer le froid du matin. Par distraction, je le suivais des yeux ; il marchait sur le trottoir des maisons qui s’adossent au passage des Panoramas. De temps en temps, il jetait un coup-d’œil au delà des portes ouvertes. Je le vis entrer dans une maison et ressortir d’un air mécontent ; il renouvela trois ou quatre fois la même manœuvre. Enfin, après avoir séjourné pendant quelques secondes dans un corridor, à côté du restaurant Gatelain, il reparut dans la rue en se frottant les mains d’un air satisfait, et se dirigea de mon côté.

— Monsieur, me dit-il à voix basse, de façon à ne pas être entendu de nos voisins, est-ce que vous approuvez