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PARIS.

succombant. Les cantinières se laissent embrasser devant la porte d’un caveau ; un blessé trinque avec un camarade, et se verse du vin sur sa blessure, en disant : « C’est bon de boire. » Et voilà cependant que, dans une heure peut-être, dans ces cimetières, que la mitraille atteint déjà, les soldats entreront, ivres de rage aussi, et alors, horrible, commencera la lutte à la baïonnette, corps à corps, entre les tombes, le guet derrière les tertres, la fuite derrière les monuments, et tout ce qu’éveille de profanatoire et d’effrayant dans l’esprit cette idée lugubre : Une bataille dans un cimetière !

C.

L’incendie est éteint : considérez les ruines. La Commune est vaincue ; voyez Paris morne, immobile, nu. C’est là que nous en sommes. L’accablement est sur tous les esprits, comme la solitude est dans toutes les rues. Nous n’avons plus ni colère ni pitié ; nous sommes brisés, résignés, hagards ; nous voyons passer, sans les regarder, les convois de prisonniers qu’on conduit à Versailles. Pas une bouche ne dit : « Misérables ! » ou : « Pauvres gens ! » Les soldats eux-mêmes sont silencieux. Vainqueurs, ils sont tristes ; ils ne boivent pas, ils ne chantent pas. Paris a l’air d’une ville prise d’assaut par des muets ; on ne s’irrite pas et on ne pleure pas. Ces drapeaux tricolores, qui flottent à toutes les fenêtres, étonnent les regards ; on n’a pas l’air de savoir pourquoi on a mis des drapeaux aux fenêtres. Ce n’est pas que, dans les derniers temps surtout, le triomphe de Versailles n’ait été ardemment souhaité par la plus