Page:Mendès - Les 73 journées de la Commune, 1871.djvu/333

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

321
LE SOIR DANS LES RUES.

cheveux sales. La face est rougeâtre, l’œil cligne. Elles vont, regardant à leurs pieds. Les unes ont la main droite dans une poche ou dans le bâillement de leurs corsages ; les autres portent à la main une petite boîte de fer blanc, de ces boîtes où on porte le lait. Elles y mettent du pétrole. Quand elles passent devant un poste de lignards, elles sourient et saluent. Quand on leur parle, elles répondent : « Mon bon monsieur ! » Si la rue est solitaire, elles s’arrêtent, consultent un chiffon de papier qu’elles ont dans la main, s’arrêtent un instant devant un soupirail de cave, puis elles continuent leur chemin sans trop se presser. Une heure après, une maison est en flammes, dans la rue où elles ont passé. Paris les appelle les pétroleuses. On a vu, rue Truffault, une pétroleuse, prise en flagrant délit, tirer cinq ou six coups de revolver sur les soldats et tuer deux hommes avant d’être passée par les armes. On a vu, devant une porte cochère de la rue de Boulogne, tomber, percée de balles, une jeune fille ; quelque chose s’échappa de sa main et se brisa : c’était un flacon plein de pétrole. Quelquefois elles ont avec elles un petit garçon ou une petite fille à qui elles donnent la main. Dans ce cas, c’est l’enfant qui porte l’incendie dans sa poche, à côté d’une toupie.

XCVIII.

On ne circule, vers sept heures du soir, qu’avec d’extrêmes difficultés. Les rues sont sillonnées de patrouilles. Les régiments de la ligne campent sur les boulevards extérieurs : ils dînent, fument et bivouaquent, trinquent