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L’HORRIBLE BRUIT.

rêtent, et les deux gendarmes reviennent vers la maison. Je comprends qu’ils viennent arrêter la femme après avoir arrêté le mari. Je tombe assis sur une chaise, effaré, épouvanté, fermant les yeux pour ne point voir, et m’appliquant les mains sur les oreilles pour ne plus entendre la fusillade ; mais l’horrible bruit aigu triomphe et me perce les mains.

XCII.

Non, ceux qui ne l’entendent pas — oh ! qu’ils sont heureux, ceux-là ! — ne comprendront jamais ce qu’il a d’effroyablement sinistre, ce bruit énorme, continu, prodigieux ! et se dire : chaque balle menace une poitrine, chaque boulet troue une maison ! L’épouvante tord les cœurs, l’affolement s’empare des cerveaux ; des visions de cadavres passent devant les yeux, des maisons s’écroulent, écrasant les dormeurs ; des hommes tombent en criant : « miséricorde ! » et l’on s’étonne de vivre au milieu de ces foules qui meurent.

J’ai fait quelques pas dans la rue ; une balle s’est aplatie derrière moi sur la barre de fer d’une devanture, et j’ai entendu le dispersement sur les pavés d’une vitre qui se brise. Je me suis dit : rentrons.

Mais en passant devant un débit de liqueurs entr’ouvert, où des hommes causaient, je me suis arrêté et j’ai recueilli quelques nouvelles. Montmartre est pris, les fédérés ont mal résisté, on a beaucoup fusillé dans les ruelles et dans les allées des maisons. On avait dit à sept insurgés :