Page:Mendès - Les 73 journées de la Commune, 1871.djvu/320

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

308
CHOSES VUES DE MA FENÊTRE.

l’église de la Madeleine. « Ils ont été suivis par des gendarmes, disait-il, et on s’est battu pendant plus d’une heure dans l’église. Maintenant, ajouta-t-il, si M. Deguerry rentre chez lui, il y trouvera du monde à enterrer. »

À présent, je suis chez moi. Le soir vient, j’écris ces notes, sans suite, selon le hasard des souvenirs, trop accablé pour chercher à mettre de l’ordre dans mes pensées. Le canon toujours ! la fusillade toujours ! Je plains ceux qui meurent et je plains ceux qui tuent mon pauvre Paris !

XCI.

Il est impossible de sortir ; la nuit a été presque paisible, la matinée commence, hideuse. La fusillade, intense, multipliée, interminable, retentit tout près de moi. Je crois qu’on se bat rue du Faubourg-Montmartre. J’ouvre ma fenêtre, et je recule devant une brusque recrudescence de bruit. Dans la cité Trévise, aucun passant, les maisons sont hermétiquement closes. Au-dessous de moi, au second étage, il se fait un grand remuement de meubles, puis j’entends distinctement un sanglot, un sanglot de femme. Je me souviens que le second étage de ma maison est occupé par un membre de la Commune et sa famille. Je suis tenté de descendre pour porter secours aux femmes, en cas de péril, lorsque, de ma fenêtre, je vois entrer dans la cité, en courant, un homme qui porte un uniforme de lieutenant ; je le reconnais, c’est mon concierge. Il s’arrête, regarde autour de lui, et, sûr d’être seul, prend son fusil à deux mains et le lance par de là