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LIGNARDS, BOURGEOIS ET CONCIERGES.

tions. Le concierge se frottait les mains et clignait de l’œil d’un air sournois. Un troisième portier racontait : « Ils ne respectaient rien. Pendant la bataille ils sont entrés dans ma loge pour piller. Ils voulaient emporter mes habits, mon linge, tout ce que j’ai. Je leur disais de laisser cela, que ce n’était pas assez bon pour eux, qu’il fallait aller chez le locataire du premier, qu’ils y trouveraient des pendules, de l’argenterie, et je leur ai donné la clef. Eh bien ! Monsieur, vous ne devineriez jamais ce qu’ils ont fait, les scélérats ! ils ont pris la clef, et ils ont tout pillé chez le locataire. » Mon ami se remit en marche. L’agitation, tout autour de lui, était grande. Les soldats allaient, venaient, sonnaient aux portes, montaient dans les maisons, redescendaient, emmenant des prisonniers pâles. Les habitants souriaient, d’un air complaisant, mais un peu inquiet. Çà et là, des cadavres, la tête sur les trottoirs. Un homme qui tirait une voiture à bras fit passer une roue sur un cadavre. « Bah ! dit-il, ça ne lui a pas fait de mal. » On emportait des morts et des blessés. D’ailleurs le canon ne cessait pas de gronder. On se battait à peu de distance, aux Tuileries sans doute. Cependant les bourgeois étaient tranquilles et les militaires dédaigneux. Il y avait là un singulier contraste : tous ces bons citadins recommençant à sourire, à jaboter, à vivre, et ces soldats paraissant éprouver le plus morne mépris pour ces gens qu’ils venaient de sauver au péril de leur vie. Mon ami arriva au boulevard Haussmann. Là les cadavres étaient très-nombreux. Il en compta une trentaine sur un espace de cent pas. Il en aperçut aussi quelques-uns sous des portes-cochères. Une femme, morte, était assise sur la