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LES CHAMPS-ÉLYSÉES.

une âme ! hélas ! Ce mot est juste, car il y avait çà et là des corps. Il aperçut au pied d’un arbre un lignard étendu, le front sanglant. Il s’approcha ; l’autre, au bruit, tressaillit, ouvrit la bouche, cligna des yeux et mourut. Mon ami s’éloigna. Il vit des arbres rompus, des colonnes de bronze tordues. Il pilait du verre en passant près des kiosques défoncés. De temps en temps, tournant la tête, il voyait les obus de Montmartre tomber sur l’Arc-de-Triomphe et l’écorner. Vers les Tuileries, un remuement confus de pantalons rouges et plus loin des fumées. Il entendit le sifflement d’une balle ; il regarda à sa droite : une branche d’arbre tombait. D’un bout à l’autre de l’avenue, personne. La terre était blanche sous le soleil. Il vit beaucoup de cadavres encore. Il traversa les Champs-Élysées. Toutes les rues à gauche étaient pleines de soldats. On s’était battu, mais on ne se battait plus. Les insurgés avaient fui dans la direction de la Madeleine. Aux fenêtres, quelques drapeaux tricolores déjà, et des femmes souriant aux militaires. On voyait des lignards, on était rassuré. Les concierges étaient assis devant leurs portes, fumant leurs pipes et racontant à des groupes attentifs les périls auxquels ils avaient échappé, les balles perçant les matelas, les fédérés s’introduisant dans les maisons pour se cacher. L’un disait ; « J’en ai trouvé trois qui s’étaient réfugiés dans ma cour. J’ai prévenu un lieutenant. Il les a fait fusiller. Mais on devrait bien les emporter. Je ne puis pas garder des cadavres dans la maison. » Un autre causait avec des soldats et leur désignait une maison. Quatre hommes et un caporal se dirigèrent vers l’immeuble indiqué. Un instant après, mon ami entendit des détona-