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DU POINT-DE-JOUR AUX CHAMPS-ÉLYSÉES.

derrière les grilles des deux contre-portes et du sang aux barreaux. Je regagne mon quartier. Je suis profondément triste, et je vais, incapable de penser, abattu, apathique, fermant les yeux parfois, semblable à ces maisons mortes dont les volets sont clos.

Devant le Gymnase, je rencontre un ami. Nous nous serrons la main tristement. Je le croyais à Versailles.

— Quand donc êtes-vous revenu ? lui dis-je.

— Aujourd’hui, derrière les troupes.

Et, marchant à côté de moi, il me raconte ce qu’il a vu.

Il avait un laisser-passer. Il est entré à Paris derrière l’artillerie et la ligne. Il est arrivé jusqu’au Trocadéro, suivant toujours les troupes qui s’y sont arrêtées pour se disposer selon les ordres de bataille. Au delà, pas un homme sur toute la longueur du quai. Au Champ-de-Mars il n’a pas vu d’insurgés. La fusillade était très-violente du côté de Vaugirard, sur le Pont-Royal et autour du Palais de l’Industrie. Il tombait des obus sur le quai, envoyés par Montmartre. D’ailleurs, il entendait seulement, il ne voyait qu’un peu de fumée au loin. Autour de lui, la solitude absolue. Ce bruit dans ce désert était effrayant. Abrité par le parapet du quai, il continua sa route. Chemin faisant, il rencontra des gamins qui taillaient de grands morceaux de chair dans un cadavre de cheval étendu sur la route. On s’était donc battu de ce côté. Sur la berge, il vit un pêcheur à la ligne. Deux obus tombèrent à quelques mètres de la route, dans l’eau. Il se dirigea alors, par prudence, vers le Palais de l’Industrie. Là, on se battait encore, mais faiblement. Les Champs-Élysées avaient un aspect lugubre. Pas