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LA PLACE DE L’HÔTEL-DE-VILLE.

— Oui ! citoyen, il vient de décréter l’héroïsme.

L’officier me donne encore plusieurs renseignements. Il m’apprend entre autres choses que Minière, le matin même, a fait fusiller trente réfractaires, et que Rigault s’est rendu à Mazas pour « surveiller les otages. » Pendant qu’il me parle, j’essaie de voir ce qui se passe sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Deux ou trois mille fédérés, en plusieurs troupes, sont assis par terre ou couchés. Ils paraissent discuter avec acharnement. De loin en loin, de petits barils sont posés sur des chaises renversées. Des hommes fréquemment se lèvent, s’approchent des barils, et boivent, quelques-uns dans le creux de leurs mains. Des escouades de femmes circulent en gesticulant. Les hommes crient, les femmes hurlent. Des estafettes sortent de l’hôtel et lancent leurs montures à fond de train, les uns dans la direction de la Bastille, les autres du côté de la Concorde. Ces derniers passent devant nous et naus crient : « tout va bien ! » Un instant, un homme paraît à une fenêtre de l’Hôtel de Ville et parle. Tous les fédérés, à sa vue, se lèvent avec enthousiasme. « C’est Vallès, » me dit mon voisin de table. J’ai cru le reconnaître en effet. Je le rencontrais, autrefois, du temps que j’étais étudiant, dans une petite crémerie de la rue Serpente. Il faisait des vers alors, assez médiocres d’ailleurs. Je me souviens d’un petit poëme consacré à la louange d’un habit vert. On disait qu’il avait un petit emploi dans l’administration des pompes funèbres. Son visage, à cette époque déjà, était amer et violent. Il quitta la poésie pour le journalisme et le journalisme pour la politique. Maintenant, il pérore à une fenêtre de l’Hôtel de Ville. Je ne puis en-