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LA RUE DE RIVOLI.

très-jeune, monté sur un magnifique cheval noir. C’est Dombrowski. On m’avait dit qu’il était mort. Il est très-pâle. Quelqu’un dit : « Il a reçu au château de la Muette un éclat d’obus en pleine poitrine. Il a été renversé, mais le projectile n’a pas pénétré dans la chair. » Le bataillon passe en chantant le Chant du départ. Il y a quelques femmes armées parmi les insurgés ; l’une qui marche à quelques pas derrière Dombrowski porte un petit enfant dans ses bras. En tournant les yeux vers la place de la Concorde, on voit des fumées qui paraissent s’élever de la terrasse des Tuileries. Devant le Ministère des finances, un peu avant la barricade, il y a des masses noires ; je crois distinguer des roues. Ce sont des canons ou des pompes. Tout autour, des remuements confus ; on entend distinctement la fusillade, mais le bruit paraît venir des Champs-Élysées ; la barricade ne tire pas. Je me dirige vers l’Hôtel de Ville. Des estafettes, à chaque instant, passent au grand galop. Des compagnies de fédérés, de loin en loin, sont couchées autour de leurs fusils en faisceaux. À la hauteur de la rue du Louvre, il y a une barricade, plus loin, une autre barricade, plus loin, une barricade encore. Des femmes, devant Saint-Germain-l’Auxerrois, s’occupent à démolir des bancs. Des enfants font rouler des barriques vides, et apportent des sacs de terre. À mesure que l’on s’approche de l’Hôtel de Ville, les barricades sont plus hautes, mieux armées, mieux garnies de défenseurs. Tous ces hommes ont des visages ardents, résolus, farouches. Ils parlent peu, ils ne crient pas. Deux gardes, assis à la turque, jouent au piquet sur le trottoir. Je poursuis mon chemin. On me laisse passer. Ici les barricades sont achevées ;