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LES TROUPES SONT ENTRÉES.

XC.

Canonnades très-proches, sifflements d’obus, fusillades multipliées. Je m’éveille, que se passe-t-il ? Je sors. On me dit : « Les troupes sont entrées. » Comment ? par quel côté ? à quelle heure ? J’interroge des gardes nationaux qui se précipitent dans la cour de la mairie Drouot, en criant : « Nous sommes trahis ! » Ils savent peu de choses. Ils viennent du Trocadéro. Ils ont vu les pantalons rouges. On se bat en avant du viaduc d’Auteuil. On se bat au Champ-de-Mars. L’assaut a-t-il été donné hier soir, ou cette nuit, ou ce matin ? Impossible de rien démêler de précis dans les réponses diverses. On parle d’un ingénieur civil qui aurait fait un signal aux Versaillais. C’est un capitaine de frégate qui est entré le premier. Une trentaine d’hommes envahit la rue, et crie : « Il faut faire des barricades. » Je me retire de peur d’être contraint à porter des pavés. La canonnade paraît affreusement proche. Au-dessus de ma tête, brusquement, un sifflement d’obus. J’entends dire : « Les batteries de Montmartre bombardent l’Arc-de-Triomphe. » Chose extraordinaire : une préoccupation artistique me traverse l’esprit en ce moment de panique et d’horreur ; je songe que cette fois, les projectiles tomberont du côté du bas-relief de Rude. Sur les boulevards, aucun promeneur, de rares passants, qui se hâtent. Les cafés fermés, les boutiques closes. Le crépitement saccadé des mitrailleuses redouble et se