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PARIS MORNE.

Il y a aussi des moments où, sur toute une partie du boulevard, il ne passe absolument personne. Cependant, parmi tout cela, je ne sais quel désir de réveil, mais opprimé, éteint, par l’habitude de l’apathie.

Le soir, on se révolte. On veut vivre. On veut se remuer. Il y a huit jours, il y avait des filles encore ; maintenant il n’y en a plus ; je n’aurais jamais cru qu’il fût possible de les regretter. On va, on vient, on parle à voix haute. Mais toute la foule se resserre de la rue Drouot à la rue du Faubourg-Montmartre. On a peur de la solitude. On demeure à côté les uns des autres pour avoir le plaisir de se coudoyer, pour se faire croire qu’on est très-nombreux. Il y a de loin en loin des badauds qui forment cercle autour d’une petite fille aux pieds nus qui chante une chanson. Un marchand, assis devant une table basse, fait brûler des pastilles du sérail ; un autre vend des sucres de pomme, un autre des cartes transparentes. On serait bien content d’être gai. Les boutiques sont fermées, le gaz parcimonieux laisse l’ombre s’étendre entre les promeneurs.

Quelques-uns vont au théâtre. Les affiches étalent peu de séductions. On entre, on s’asseoit, la salle est presque vide. Les comédiens récitent vite, avec des gestes lents. Ils s’ennuient, et ils ennuient. Quand, parfois, à cause d’une farce d’un acteur comique par habitude, on éclate de rire, on devient ensuite, et tout à coup, très-sérieux. Il semble que l’on a eu tort de rire. On ne sait alors que faire. On se promène dans les couloirs. On veut rentrer dans la salle, on s’est trompé, on se trouve sur le boulevard. Il est dix heures, il est très-tard. Quelques cafés se ferment. Aux fenêtres de Brébant ou