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PARIS MORNE.

LXXXIX.

J’ai tellement regardé que je ne sais plus voir. J’ai assisté à la lente décadence du luxe, de la joie, du bien-être sans m’apercevoir de tout ce qui se mourait peu à peu autour de moi, comme un homme, dans une salle de bal dont on éteindrait une à une les bougies, ne s’apercevrait pas de l’ombre grandissante. Pour voir réellement Paris tel qu’il est aujourd’hui, tel que la Commune l’a fait, j’ai besoin d’un effort. Fermons les yeux. Évoquons la vision ancienne de Paris vivant, joyeux, heureux dans ses tristesses même. C’est fait, je me suis souvenu, j’ai revu. Maintenant ouvrons les yeux et voyons.

Dans la rue où j’habite, pas une voiture. Des hommes, en uniformes de gardes nationaux, suivent les trottoirs. Une ménagère, sur le pas d’une porte, cause avec sa concierge. Elles parlent bas. Bien des boutiques sont fermées, d’autres à demi closes, quelques-unes ouvertes. Chez le marchand de vin du coin, une femme du peuple est debout devant le comptoir et boit.

Le faubourg Montmartre résiste à l’envahissement du silence et de l’apathie. Cette artère bat encore. Il y a des rubans derrière quelques vitrines, des femmes en cheveux qui passent et sourient, des hommes qui les regardent, et, au coin du boulevard, une sorte d’encombrement et de tumulte produits par un nombre considérable de fillettes et de gamins glapissant ou hurlant des titres