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ASTUCE D’UN COCHER DE FIACRE.

rez de boire un verre de vin pour vous donner des forces ?

Une heure plus tard, le poëte et le cocher avaient déjeuné comme de vieux camarades, et six bouteilles vides témoignaient que ni l’un ni l’autre n’avaient résolu de mourir de soif.

Peste ! pensait le réfractaire, trois bouteilles de Glos-Vougeot, une de Léoville, deux de Moulin-à-Vent, et le gredin n’est pas encore ivre ! Allions, les grands moyens ! Garçon, du Champagne !

— Tiens, petit, dit alors le cocher qui, s’il n’était ivre, était du moins familier, le Champagne ne fera pas plus d’effet que le bourgogne ; et si tu ne comptes que làdessus pour me prendre mon laisser-passer, ma foi, tu comptes sans ton convive.

— Ah ! diable ! s’écria le jeune homme stupéfait de voir sa ruse éventée et songeant avec effroi au prodigieux total de l’addition inutile.

— On a déjà voulu me mettre dedans, mais j’ouvre l’œil, mon petit !

Puis, il ajouta en égouttant la dernière bouteille dans son verre :

— Donne-moi deux louis de dix francs et je te fais sortir.

— Ah ! monsieur, que de reconnaissance !

Mais, au fond, le poëte était humilié parce qu’il était

obligé de reconnaître que son quatrième acte ne valait rien.

— Appelle le garçon et paye la carte.

Le garçon fut appelé et la carte payée, avec un soupir.

— Donne-moi ton veston.