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LA RECONNAISSANCE DE ROSSINANTE.

il cédera peut-être, mais renoncer à des galons, jamais ! Comment voulez-vous qu’un homme sérieux consente à ne pas ressembler à un saltimbanque ?

Une autre prescription, analogue d’ailleurs, a nui considérablement au citoyen Cluseret. Un beau jour, il lui a passé par la tête de défendre aux hommes de guerre de galoper sur les boulevards et dans les rues. Et cela, sous le frivole prétexte que l’allure trop rapide des coursiers pouvait donner lieu à des accidents. Des accidents ? Eh bien, après ? Est-ce qu’un capitaine d’état-major va se priver du plaisir de caracoler sous les regards de belles promeneuses, pour ne pas s’exposer à renverser sur le macadam ou sur les pavés quelques vieilles femmes et deux ou trois petits enfants ? Le général Cluseret ne savait ce qu’il disait. — Il est certain que si ce bon général avait tant à cœur d’éviter les accidents, il aurait dû commencer par interdire les coups de fusil à Courbevoie, qui sont bien plus dangereux que le galop d’un cheval sur le boulevard Montmartre. — Donc on continua de galoper et de porter des galons, au nez et à la barbe du délégué à la guerre, qui, lui, stoïque, affectait de se promener en habit bourgeois. Mais, tout en ne lui obéissant pas, on lui en voulait des ordres qu’il avait donnés. Une opposition sourde couvait, prête à éclater. Le fort d’Issy a offert un prétexte, et Cluseret a succombé, victime de son goût pour la simplicité ; mais il emporte les regrets — douce récompense de sa sollicitude, — il emporte les regrets de tous les chevaux de charrette qui tiennent lieu de purs-sang à notre brave état-major, et qui, elles, les pauvres bêtes, ne demandaient pas mieux que de ne pas galoper.