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LE MORT DANS LA CAVE.

sarda jusqu’à la Porte-Maillot, et, réunissant toutes les forces de sa voix, elle cria :

— Mon mari est mort dans la cave. Venez le chercher, et laissez-nous rentrer dans Paris.

Le factionnaire qui était facétieux — nous espérons qu’il n’était que cela — la coucha en joue et elle s’enfuit précipitamment.

Il y avait quatre jours que son mari était un cadavre. La nuit, elle dormait auprès du mort. Le jour, à la clarté qui venait du dehors, elle regardait le corps, et sanglottait de douleur et d’horreur.

Puis la corruption commença à se révéler. Oh ! alors, elle n’y tint plus. Elle sortit, elle cria à ses voisins :

— Vous l’enterrerez ! sinon, j’irai me mettre debout, au milieu de l’avenue, pour mourir tout de suite.

Quelques-uns eurent pitié d’elle. On descendit dans sa cave, on fit un trou, et l’on y plaça le mort. Elle est restée pendant quinze jours assise sur la terre renflée. Aujourd’hui, quand on est venu la chercher, elle était comme folle. De la fosse maladroitement comblée, sortait une des jambes du cadavre.

Donc ce matin 25 avril, dès neuf heures, une foule innombrable montait les Champs-Élysées : piétons de tout âge et de toute classe, et voitures de toute espèce. La trêve, obtenue par les membres de l’Union républicaine des droits de Paris devait enfin avoir lieu, et l’on allait recueillir les pauvres habitants de Neuilly. On s’avançait pourtant avec précaution, car ni la canonnade ni la fusillade n’avaient encore cessé, et l’on craignait à chaque instant de voir tomber quelque projectile parmi la multitude compacte. Sur l’avenue de la Grande-Armée, un