Page:Mendès - Les 73 journées de la Commune, 1871.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

9
ÇÀ ET LÀ.

Sur les boulevards extérieurs, les débits de liqueurs regorgent d’ivrognes. Il y a des badauds pour regarder boire ces hommes qui se vantent d’avoir fait une révolution. Quand « le coup » a réussi, il se trouve toujours un tas de chenapans pour dire : « C’est moi qui ai fait le coup ». On cause, on rit, on chante. À chaque pas des fusils en faisceaux. Au coin du passage de l’Élysée-des-Beaux-Arts s’amoncelait, quand je suis passé, un tas grouillant d’hommes couchés. Plus loin, j’ai vu tout un bataillon, l’arme au pied, prêt à se mettre en marche. À l’entrée de la rue Blanche et de la rue Fontaine, quelques pavés posés les uns sur les autres voudraient avoir l’air d’une barricade. Rue des Abbesses, j’ai compté trois canons ; une mitrailleuse menace la rue des Martyrs. Rue des Acacias, un homme a été arrêté et conduit au poste par une patrouille de gardes nationaux ; j’ai entendu dire qu’il avait volé. Arrêter un ou deux voleurs, c’est une des traditions de l’émeute parisienne. D’ailleurs, le désordre n’est pas excessif. Si tous les hommes ne portaient pas l’uniforme, on pourrait croire que c’est un soir de fête populaire ; les vainqueurs s’amusent.

Il y avait peu de soldats, ce soir, parmi les fédérés : ils sont peut-être rentrés dans les casernes, par habitude, pour manger la soupe.

Sur les grands boulevards, des groupes tumultueux commentent les événements de la journée. Au coin de la rue Drouot, un officier du 117e bataillon lit à haute voix, ou plutôt récite (car il a l’air de la savoir par cœur !) la proclamation de M. Picard, affichée dans l’après midi :

« Le gouvernement vous appelle à défendre votre cité, vos foyers, vos familles, vos propriétés.