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INDIFFÉRENCE DE LA COLONNE.

a faim, les petits enfants ont faim, mais le père de famille a soif. Il touche trente sous ; que fait-il ? il va boire ; charité bien ordonnée commence par soi-même. Quand il a bu, que reste-t-il ? quelques sous, la bouteille vide et le bouchon. Très-bien : il joue les quelques sous au bouchon, et le soir, quand il rentre, il rapporte à la maison, quoi ? la bouteille vide.

Sur la place, deux barricades, l’une du côté de la rue de la Paix, l’autre du côté de la rue Gastiglione. « Deux formidables barricades, » disent les journaux. Lisez : « un millier de pavés à gauche et un millier de pavés à droite. » Je me dis à part moi que deux petites pièces de campagne, l’une sur la place du Nouvel-Opéra, l’autre rue de Rivoli, ne tarderaient pas à avoir raison de ces deux barrières, en dépit de quelques canons qui allongent çà et là leurs cous de cuivre — neuf.

Décidément, les fédérés sont galants. Une vingtaine de jeunes femmes, j’ai dit : jeunes femmes et non pas jolies femmes, débitent du café aux gardes nationaux, et ajoutent des grimaces engageantes à la monnaie qu’elles rendent.

Quant à la Colonne, elle n’a pas le moins du monde l’air d’avoir été effrayée par le décret de la Commune qui la menace d’un renversement prématuré. Elle se dresse toujours, pareille à un grand I de bronze ; l’empereur, c’est le point sur l’I Elle a encore ses quatre aigles, cravattés de couronnes d’immortelles, aux quatre coins de son piédestal, et le double drapeau rouge qui flotte là-haut à son balcon, ne semble pas l’inquiéter outre mesure. La Colonne fait songer à l’antique honneur de la France, qui ne se laisse point intimider par