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LE CAMP DE LA PLACE VENDÔME.

Ville — communeuse, va ! — s’approcha de la sentinelle et lui adressa le plus gracieux sourire. Voyez-vous, ces fédérés ! Quoi qu’il en soit, le factionnaire, oubliant son devoir, engagea avec la promeneuse une conversation qui me parut assez intime pour que la discrétion m’ordonnât de faire un demi-tour à gauche, et, cinq minutes plus tard, j’arpentais la place interdite.

La place, non, c’est le camp qu’il faut dire. Une foule de petites tentes qui seraient blanches si elles avaient été blanchies, se montrent çà et là, et laissent échapper de la paille éparpillée. Sous les tentes, quelques gardes nationaux ; on ne les voit pas, mais on les entend : ils ronflent. Vous souvenez-vous du syllogisme absurde que l’on répète assez fréquemment dans les classes de philosophie ? on pourrait le modifier ainsi : Celui qui a une bonne conscience dort bien ; or, les fédérés dorment bien ; donc, les fédérés ont une bonne conscience. D’autres gardes vont et viennent, la pipe à la bouche. Si je vous affirmais que ces honorables communalistes révèlent, par leur irréprochable tenue, leur mine distinguée et leurs entretiens bienséants, qu’ils font partie de la fine fleur de la société parisienne, vous seriez peut-être assez impertinents pour ne pas en croire un traître mot ; je juge donc préférable à tous égards de vous affirmer tout le contraire. Quelques-uns jouent leur solde au bouchon, sur les trottoirs de la place. La solde et le bouchon ! Celui qui voudrait écrire l’histoire de la garde nationale depuis le commencement du siège jusqu’à nos jours, pourrait l’intituler ainsi, et si, au bouchon, il ajoutait la bouteille, il pourrait se vanter d’avoir un titre vraiment complet. Les choses se passent ainsi : la femme