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PARIS SOURIANT.

boîte funèbre. Il y a là un mort à barbe grise ; son ventre n’est qu’un amas de lambeaux, chairs, étoffes, sang coagulé. Nous marchons encore. Le second cercueil contient un vieillard aussi ; on ne voit pas ses blessures : il a dû être tué par une balle. Nous avançons toujours. Je remarque que les hommes âgés sont en beaucoup plus grand nombre que les jeunes gens. Les plaies en général sont affreuses ; il y a des visages entièrement mutilés. Quand j’eus laissé retomber le couvercle du dernier cercueil, la mère poussa un soupir de soulagement : son fils n’était pas là ! Pour moi, j’étais hébété d’horreur. Je ne revins à moi qu’en me sentant poussé par des hommes qui étaient derrière et qui voulaient voir à leur tour. L’un d’eux me dit : « Eh bien, quand aura-t-il fini, celui-là ? on dirait qu’il n’y en a que pour lui. »

XLV.

Ce qu’il y a de véritablement stupéfiant au milieu de tout cela, c’est l’aspect souriant des rues, des boulevards, des promenades. L’émigration toujours croissante ne se fait remarquer que par un moins grand nombre de filles et de gandins ; il en reste assez pour remplir les cafés et réjouir les boulevards. On dirait que Paris est d son état normal. Chaque matin, des Champs-Élysées, des Ternes, de Vaugirard, se répandent çà et là dans la ville des familles qui se dérobent au bombardement, comme à l’époque où M. Jules Favre anathématisait la barbarie des Prussiens ; les unes sont en voiture, d’autres