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MOUCHARDS ET RECRUTEURS.

seil de se faire mouchard (le mot y est : « faire eux-mêmes la police de leur arrondissement »), nous remplit de colère et de dégoût. Qu’est-ce à dire ? Je passerai dans la rue, allant à mes affaires, et voici qu’un fédéré, le premier venu, n’importe qui, aux mains sales, — un scélérat à coup sûr, car quel honnête homme obéira au conseil de Cluseret ? — un chenapan quelconque me mettra la main au collet et me dira : « Toi, tu vas venir te faire tuer pour mon indépendance municipale. » Ou bien, le soir, je serai dans mon lit, bien tranquille, endormi, comme c’est mon droit, je suppose, et quatre ou cinq gaillards, ayant l’ivresse patriotique, enfonceront ma porte si je tarde à accourir, domestique obéissant, au premier coup de sonnette, et, bon gré mal gré, m’emporteront aux avant-postes, en pantoufles, en bonnet de nuit, en chemise même, comme il convient à un brave sans-culotte ? Parbleu ! monsieur le délégué à la guerre, pour supporter ceci, il faudrait, je vous le jure, que la famine, dans les derniers jours du siège, m’eût contraint à vendre à quelque brocanteur, votre collègue aujourd’hui à la Commune, le revolver dont j’espérais — naïf que j’étais ! — me servir contre les Prussiens ! Un revolver à six coups, ne vous déplaise, et que je n’ai pas déchargé, hélas !

Mais il faut espérer encore que dans Paris — même à cette heure où l’émeute a fait sortir de l’ombre et des bas-fonds tant de fripons et de lâches, comme la lie monte à la surface dans le vin remué — il faut espérer qu’il ne se trouvera personne pour faire ce métier de racoleur et de policier, et que l’arrêté de M. Cluseret restera lettre morte comme tant d’autres décrets de la