Page:Mendès - Les 73 journées de la Commune, 1871.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

124
FEMMES ET ENFANTS.

a reçu hier une balle dans la poitrine, en traversant l’avenue des Ternes, un peu au-dessus de la voie du chemin de fer. Une balle, c’est étrange, mais tout le monde me l’affirme. Il faut donc croire que, hier, les Versaillais, de ce côté du moins, étaient un peu plus près de Paris que les dépêches officielles n’ont daigné nous le dire.

Je reviens dans la rue, me dirigeant vers la place d’Eylau. Des gardes nationaux passent, portant une civière. Je m’approche d’eux.

— Oh ! vous pouvez regarder, me dit l’un.

J’écarte les rideaux de toile bleue et blanche, tout en marchant. Il y a sur le matelas une femme dont la mise annonce une petite bourgeoise et un enfant de deux ou trois ans, celui-ci couché sur la poitrine de la femme. Ils sont très-pâles tous les deux ; un bras de la mère pend, la manche est rouge, la main manque.

— Où ont-ils été blessés ? demandé-je.

— Blessés ? ils sont morts. C’est la femme et l’enfant du marchand de vélocipèdes de l’avenue Wagram. Si vous voulez vous charger d’aller lui apprendre la nouvelle, vous nous rendrez un fier service.

Ainsi donc, c’est vrai, certain, incontestable. Les balles et les obus des Versaillais ne se contentent pas de tuer des combattants et de battre en brèche les forts et les remparts. Ils tuent des femmes, des enfants, des gens qui passent, et non-seulement ceux qu’une curiosité imprudente attire là où ils n’ont que faire, mais ceux qui, indispensablement, pour aller acheter du pain, se hasardent un instant dans les rues de leurs quartiers. Ce ne sont pas uniquement les édifices très-rapprochés