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CE QU’ON VOIT D’UNE FENÊTRE.

gné d’un brouillard blanc. Le bastion riposte énergiquement ; il me semble que l’on me déchire le dedans de l’oreille, et brusquement j’entends un bruit sourd, sec, énorme, que je n’avais pas entendu encore, et je sens que la maison a tremblé. Les gardes nationaux du rempart poussent de grands cris ; je crois qu’une volée de projectiles a éventré le pont-levis de la Porte-Maillot. Cependant, là-bas, les nuages de fumée se rapprochent évidemment, et les fusillades plus intenses paraissent aussi plus voisines. J’ai l’impression qu’une poussée terrible vient de Courbevoie. Les Versaillais marchent-ils en avant ? Les obus dépassent la porte dans la direction des Champs-Élysées. Je distingue un grouillement tumultueux qui marche, dans la fumée, dans la poussière, sous le soleil. Le bastion tonne avec une rage croissante. Je ne puis plus en douter, les Versaillais s’avancent : ils ont des pantalons rouges ; ce sont des lignards. Les maisons de l’avenue les fusillent au passage. Je vois une troupe s’arrêter, hésiter sous les balles qui me paraissent partir de la place du Marché, puis se retirer. Alors, des maisons sortent, en grand nombre, des fédérés, qui marchent le long des murs, sans doute pour se dérober à la mitraille de Courbevoie, et poursuivent la retraite de l’ennemi. Mais bientôt, et justement au point où la distance ne me permet plus de rien distinguer avec netteté, ils s’arrêtent à leur tour, puis reviennent sur leurs pas, se cachent dans les maisons, et alors le feu des batteries versaillaises se ralentit, tandis que celui du bastion continue sa furieuse attaque.

J’ai assisté à une de ces allées et venues sous la mitraille