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CE QU’ON VOIT D’UNE FENÊTRE.

mes regards vers la droite, je domine presque entièrement l’avenue de Neuilly. Les terrains dénudés qui forment ce qu’on appelle la zone militaire sont absolument déserts ; plusieurs obus y tombent, qui étaient évidemment destinés à la Porte-Maillot ou au bastion. Ma situation à la fenêtre n’est pas exempte de tout péril ; je suis justement derrière le bastion. Après la zone militaire, les maisons semblent abandonnées, mais je vois distinctement des gardes nationaux qui font la soupe sur le trottoir du restaurant Gillet. Je suis trop éloigné pour juger du dégât qu’ont dû occasionner les projectiles ; j’ai entendu dire que bien des toits, de ce côté, ont été effondrés, bien des murailles renversées. Tout ce que je puis apercevoir de la place du Marché est désert, mais un bruit de fusillade et des fumées qui s’élèvent d’un des côtés de la place me révèlent que les fédérés y sont en assez grand nombre. Plus loin encore, je vois des fusils aux fenêtres, et des fumées qui montent ; par instant des groupes de combattants traversent l’avenue au pas de course et disparaissent dans les maisons. Quant au pont, précédé d’une ligne sombre qui est une barricade, il ne m’apparaît que très-confusément, grâce à l’éloignement, au soleil qui m’aveugle et peut-être aussi à l’émotion que me causent le désir à la fois et la crainte de voir. Ce qui me surprend surtout dans la bataille à laquelle j’assiste, c’est le petit nombre de combattants visibles. Mais voici que tout à coup — il est environ deux heures de l’aprèsmidi — les batteries versaillaises de Courbevoie, silencieuses depuis assez longtemps, se mettent à tirer avec fureur. L’horrible toux des mitrailleuses couvre le sifflement des obus ; tout le fond de la longue avenue est bai-