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EN ALLANT À LA PORTE-MAILLOT.

une fierté naïve : je n’ai pas peur du tout. Une inclinaison d’un centimètre de plus dans la direction de l’obusier, et je pouvais être haché en miettes ; n’importe, je suis plus que jamais disposé à marcher en avant. Je commence à croire qu’il n’est pas très-difficile d’être brave, — quand on n’est pas un poltron. Sous l’arche immense du monument, il y a une centaine de curieux qui se croient à l’abri, et qui, de temps en temps, avancent leurs têtes pour examiner les dégâts que viennent de faire trois projectiles successifs au groupe du sculpteur Etex. Mais sur l’avenue de la Grande-Armée, on ne voit guère que des fédérés, et je suis peut-être le seul homme sans uniforme qu’on ait laissé aller jusque-là. Je vois distinctement une petite barricade, élevée devant la Porte-Maillot, de ce côté des remparts. Le bastion de droite canonne vigoureusement les hauteurs de Courbevoie ; d’énormes bouffées de fumée, presque immédiatement accompagnées d’effroyables détonations, certifient le zèle des artilleurs de la Commune. Au delà, l’avenue de Neuilly s’étend, longue, solitaire, poussiéreuse ; d’ailleurs le soleil m’aveugle, et je ne distingue qu’imparfaitement les objets. Mais la fusillade commence à devenir très-distincte ; on se bat surtout à Saint-James, — je me souviens de la petite maison que j’habitais, en face du bois de Boulogne, — et dans l’ancien parc de Neuilly. Je voudrais suivre le bataillon au delà des portes, mais un officier m’aperçoit, et, sans la moindre politesse, m’intime l’ordre de rétrograder. Il me rend service d’ailleurs ; car, bien que depuis un instant le feu des batteries versaillaises ait diminué d’intensité, la place ne doit pas être longtemps tenable, si j’en juge par les débris d’obus qui