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PROMENADE AUX CHAMPS-ÉLYSÉES.

— On ne passe pas !

— Mais, répliquai-je…

Et je m’interrompis, cherchant quelque motif plausible pour justifier mon insistance. Il n’en fut pas besoin ; bien que je me fusse borné à dire : Mais… Le factionnaire jugea l’explication suffisante, et reprit :

— C’est différent, passez.

À mesure qu’on monte, l’avenue est plus en plus déserte. Les volets de toutes les maisons sont fermés. De loin en loin, un passant longe les murs par prudence, prêt à se réfugier dans l’une des portes cochères restées ouvertes par ordre, dès qu’il entendra le sifflement d’un obus. Devant la boutique d’un carrossier, hermétiquement close, des fusils sont rangés en faisceaux ; la plupart des gardes dorment étendus sur le trottoir ; d’autres font les cent pas, la pipe à la bouche ; quelques-uns jouent au bouchon. J’entends dire qu’un obus a éclaté, il y a un quart d’heure, au coin de l’avenue et de la rue de Morny. Un capitaine était là, assis par terre, à côté de sa femme qui venait de lui apporter à déjeuner ; le capitaine a été littéralement coupé en deux ; on a transporté la femme, grièvement blessée, dans une pharmacie qui se trouve à côté du bureau des omnibus. On m’as » sure qu’elle y est encore, et, retournant sur mes pas, je me dirige de ce côté. Il y a un petit groupe devant la boutique. J’essaye de me faire jour, mais je ne vois rien, car la blessée a été portée dans le laboratoire. J’apprends seulement qu’elle a reçu un éclat d’obus dans le cou et qu’elle reçoit les soins d’un médecin des ambulances de la Presse. Je reprends ma route. La canonnade, qui semblait interrompue, reprend avec une rare vigueur ;