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À L’EAU, LE MOUCHARD.

suffit. Vous pourrez être informé, heure par heure, de ce qu’elle dit, de ce qu’elle fait, de ce qu’elle pense. Vous objectez que vous préféreriez vous en tenir à l’ancienne méthode, et qu’il vous serait plus agréable de recevoir une lettre que de consulter un charlatan. Ah ! vraiment ? Eh bien, je ne vous conseille pas de dire cela tout haut. On vous prendrait pour ce que vous êtes en effet, pour un réactionnaire, et il pourrait vous en cuire. Dans la journée d’hier, un jeune homme se promenait aux Champs-Élysées. Un garde national s’approche et lui demande du feu.

— Je suis vraiment désolé, dit le promeneur, mais mon cigare est éteint.

— Ah ! ton cigare est éteint ? Ah ! tu rougirais de rendre un service à un patriote ? Réactionnaire, va !

Et les injures de pleuvoir, et un groupe de se former, et une femme — une bien aimable personne — de s’écrier : « C’est un ancien sergent de ville ! »

— Oui, oui, c’est un gendarme déguisé.

— Il ressemble à Ernest Picard !

— Il faut le jeter à l’eau !

— À l’eau ! à la Seine ! à la Seine, le mouchard !

Le pauvre garçon fut entouré, entraîné, enlevé ; le groupe était devenu une foule, gardes, femmes, enfants, et répétait sans savoir pourquoi : « À l’eau ! qu’on le fusille ! qu’on le pende ! » Les personnes superstitieuses insistaient pour la pendaison, à cause de la corde. D’ailleurs, d’où était venu le démêlé, personne ne le savait plus. Un monsieur me dit :

— Il paraît qu’on l’a arrêté au moment où il allait mettre le feu à l’ambulance du Palais de l’Industrie,