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LHUILLIER-LATUDE.

lule, où j’étais gardé à vue, de passer deux préaux gardés par une douzaine de gardiens, de me faire ouvrir trois portes fermées et de me faire présenter les armes par tous les factionnaires de la préfecture. » Évasion sublime ! Pends-toi, Latude ! Quel chapitre aurait écrit le regretté et ingénieux Alexandre Dumas sur cette admirable donnée ! Le seuil de la cellule franchi sous le nez du geôlier, endormi sans doute par une boisson assoupissante que M. Lhuillier, grâce à ses longs voyages dans les Indes orientales, a seul le secret de composer, les douze gardiens du préau saisis l’un après l’autre à la gorge, renversés, liés de cordes et mis hors d’état de donner l’alarme par douze poires d’angoisse fourrées dans leurs douze bouches, les trois portes ouvertes par trois énormes fausses clefs qu’avaient fabriquées un membre de la Commune, serrurier de son état et resté fidèle à la cause de M. Lhuillier, et, enfin, les factionnaires, plongés dans l’extase à la seule vue du glorieux évadé et lui présentant les armes, quel drame ! Mais ce qu’il y a de plus beau, sans conteste, c’est le secrétaire ! Je l’aime, ce secrétaire, qui n’a pas un seul instant abandonné son maître, et je le vois, pendant que M. Lhuillier accomplissait des miracles, je le vois au milieu du danger écrire sans trouble, d’un crayon sûr, ces nobles aventures, qui ne périront pas ! « À cette heure, continue l’ex-prisonnier de l’ex-préfecture, j’ai deux cents hommes déterminés qui me servent d’escorte et trois bons revolvers chargés dans mes poches. J’ai eu trop longtemps la simplicité de voyager sans armes et sans amis ; aujourd’hui, je suis bien décidé à casser la tête au premier venu qui viendra m’arrêter. »