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PARIS QUI S’AMUSE.

raîna, et tous deux ils roulèrent et s’abattirent sur le trottoir. Ni l’un ni l’autre ne s’était tué, mais le lignard avait la lace rougeâtre de sang et de poussière, et le Parisien qui était tombé comme à cheval sur son ennemi, l’acheva d’un coup de couteau dans le crâne ! — Telle est cette lutte infâme, telle est cette lutte impitoyable ! Ne cessera-t-elle donc que lorsqu’il n’y aura plus de sang à verser ?

Cependant le Paris des boulevards élégants, le Paris viveur se promène et sourit. En dépit des nombreux départs, il y a encore çà et là assez de dandys désœuvrés et de belles filles joyeuses pour que l’honnête homme qui passe ait souvent l’occasion de rougir de colère. Les théâtres sont ouverts. On joue le Canard à trois becs. Connaissez-vous le Canard à trois becs ? C’est une pièce tout à fait propre à distraire les gens des soucis de la guerre civile. Vous comprenez, il faut bien rire un peu. On meurt là-bas, rions ici. Dans les baignoires on chuchotte, dans les avant-scènes on croque des violettes pralinées ; tout est pour le mieux. Mlle Nénuphar, ainsi nommée par antiphrase, a les plus beaux yeux du monde. Gageons que le joli monsieur qui se dissimule à demi derrière elle, les a déjà comparés, vu les ravages qu’ils exercent, à des boîtes à mitraille ? On n’est pas plus galant. C’est à la fois spirituel et actuel. Ah ! tenez, ceux qui se battent à cette heure, ceux qui, par leurs canons et leurs chassepots, exposent aujourd’hui Paris à d’épouvantables représailles, ces hommes sont bien coupables, mais je les préfère encore à ceux-ci qui viennent pouffer de rire pendant que la cité tout entière se désespère, qui n’ont pas même la