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PARIS QUI MEURT.

les damnés de la Commune. Chaque maison est une forteresse. Les gendarmes étaient parvenus hier à s’avancer jusqu’au marché de Sablonville ; on les a repoussés ce matin au delà de l’église. Sur cette église, un enfant, M. Leullier fils, a planté le drapeau rouge sous une averse de projectiles. « Cet enfant sera un homme, » dit Cluseret, délégué à la guerre. Oui, à moins qu’il ne soit un cadavre. Les fenêtres fusillent les fenêtres. On fait l’assaut d’une maison ; on se rencontre sur l’escalier ; ce sont des luttes sans pitié, nuit et jour, à toute heure. La rage de part et d’autre est prodigieuse. Ces hommes, amis il y a huit jours encore, n’ont plus qu’un désir : s’assassiner. Un habitant de Neuilly, qui a réussi à s’échapper, me raconte ceci : Deux ennemis, un lignard et un fédéré, s’étaient rencontrés dans l’établissement de bains qui se trouve sur l’avenue de Neuilly, un peu au-dessus de la rue des Huissiers. Les baïonnettes au bout des fusils, tantôt fuyant, tantôt poursuivant, ils arrivèrent sur le toit de la maison, et là, forcenés, ayant jeté leurs armes, ils se saisirent à bras le corps, et luttèrent. Sur le toit penchant, dont les briques se brisent, à cent pieds du sol, ils luttèrent sans merci, sans repos, tant qu’enfin l’un des deux, le lignard, se sentit faiblir et voulut échapper à l’étreinte de son adversaire. Alors le fédéré — la personne de qui je tiens ce récit était à une fenêtre en face d’eux et ne perdait pas un seul de leurs mouvements — alors le fédéré tira un couteau de sa poche, et s’apprêta à frapper le lignard à demi renversé ; celui-ci vit qu’il était perdu, se jeta à plat ventre sur la toiture, saisit son ennemi par une jambe, et d’un geste brusque l’en-