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LE ROI VIERGE

aux hommes, à ceux qui portaient des blouses ou qui avaient des pantalons garance. Les étudiants n’auraient pas voulu d’elle, parce qu’elle n’avait plus de cheveux et qu’il lui manquait des dents. Le passé de cette misérable ? Elle-même l’avait oublié. Elle était une ordure qui se trouvait là par hasard ; un fruit pourri, tombé, dont on ne voit pas la branche. D’ordinaire, ces filles n’ont pas d’enfants, par une pitié du sort. Elle en eut un, étonnée, à quarante ans. Le père ? est-ce qu’on savait ? Un jour, quelqu’un demandait à un petit garçon, fils d’une marcheuse : « Et le soir, que faites-vous, mon pauvre mignon ? » L’enfant répondit : « Le soir, maman me couche, et puis elle va chercher papa. » C’était ce père-là qu’avait eu le nouveau-né jeté dans le canal. La mère, lorsqu’on l’interrogea, avoua tout de suite son crime ; elle n’avait pas de regret de ce qu’elle avait fait ; aucun remords dans cette âme obscure ; la conscience n’est pas une lumière à plusieurs flammes, dont quelques-unes peuvent éclairer encore lorsque les autres sont déjà mortes ; non, cette lueur-là s’éteint tout entière, d’un seul coup. Seulement quand on apprit à la mère que son fils avait été sauvé : « Eh ! bien, tant pis pour