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LE ROI VIERGE

Mais il ne s’attarda pas dans le paysage lunaire ; son âme, troublée comme un ciel où roulent des nuées d’orage, se fût mal accommodée de calme lumineux et pur ; il longea, sans oser le regarder, le lac paisible maintenant, où la nacelle que tirait la chaîne d’or du cygne faisait un joli bruit de soie ou d’eau froissée ; il se trouva enfin dans un lieu morne et sinistre, agréable à sa pensée.

C’était, sous un ciel très bas et très noir, un vaste chaos de roches l’une l’autre s’escaladant dans une immobile convulsion ; et le brouillard rougeâtre qui baignait cet immuable et furieux amoncellement montait, comme des bouffées de bûcher, d’un obscur bâillement pierreux qui avait l’air d’une bouche d’enfer. On voyait, en effet, ce que racontent les poëtes anciens des pentes par où l’on s’engouffre dans le Ténare ; en même temps que des flammes fuligineuses, il venait parfois des profondeurs une rumeur de plaintes et de râles arrachés peut-être par les éternels supplices.

Frédérick grimpa de bloc en bloc, s’assit sur la plus haute roche et considéra longtemps l’entrée de l’abîme.