Page:Mendès - Le Roi Vierge - 1881 (leroiviergeroma00mendgoog).djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
252
LE ROI VIERGE

vivre où l’on est, à quoi bon s’efforcer de vivre par la pensée où l’on ne saurait être ? Toute profondeur, même céleste, est un gouffre, et l’on s’y perd ; il ne faut plus se perdre quand on s’est trouvé. Dieu nous a mis sur terre, pour que nous y restions ; ce sont les fleurs, et non les étoiles, qu’il faut songer à cueillir. Pourtant elle n’osait pas lui faire des reproches, n’osait même pas s’avouer qu’elle aurait pu lui en faire. Il avait raison sans doute, puisqu’il était si beau ! et elle n’était, elle, qu’une petite fille qui n’entendait rien aux grandes choses. Quand il s’écriait, avec des gestes éperdus, les yeux comme éblouis de visions lointaines : « Clorinde ! je suis Tancrède. Ouvre à Dante les portes du paradis, Béatrix ! Marguerite, file au rouet pendant que Méphistophélès m’emporte sur la pente des abîmes ! » elle ne disait pas non ; obéissante, elle consentait à ces jeux fantasques ; tour à tour, elle se faisait hardie comme une guerrière ou agitait dans la lumière, comme une sainte, une palme d’or qui fait signe, ou avait l’air de filer près de la fenêtre comme celle qui attend l’amant disparu, en se souvenant des baisers. Mais elle aurait préféré qu’ils fussent Frédérick et Lisi, simplement.