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LE ROI VIERGE

sourd, de respirer doucement, régulièrement, pour qu’on me crût endormie. Oh ! ces nuits ! ces nuits ! L’enfer ne m’étonnera pas, car je l’ai connu ! Un fétu sur la braise, toujours brûlé, jamais consumé, c’était moi ! Du feu aux paupières, du feu aux lèvres, suant de la flamme, prête à hurler, prête à bondir, mais muette et comme cataleptique, les poings aux dents, roidie dans ma volonté ainsi que dans une chemise de fer rouge. Une fois pourtant je criai. « Tiens ! la petite ! » dit l’homme, et il m’embrassa, terrifiée. Mais elle lui sauta au visage. Ils se battirent, on accourut aux clameurs. Cette aventure ne resta pas secrète. Quand mes parents revinrent, la servante fut jetée à la porte et l’on me mit dans un couvent.

« Je demeurai longtemps, comme hébétée, entre les grands murs froids, parmi les sœurs rigides, murs aussi. On disait de moi : « L’idiote. » L’air de ne pas penser, pensant toujours. J’eus sur les lèvres, pendant des mois, comme un charbon embrasé, le baiser qui m’avait effleurée, et je le gardai, dévorant, tant que d’autres ne l’eurent pas éteint. J’avais compris ! je savais ! Désormais, ce que je vis, ce que j’entendis, ce qu’on