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”SCIENTIA„

langue a servi de moyen d’expression : il y a eu ainsi une nation indo-iranienne, une nation germanique, etc. Il va de soi que les noms attribués à ces langues et à ces nations ne prétendent pas reproduire les noms que ces nations se donnaient à elles-mêmes ou que leurs voisins leur attribuaient. Chacun n’exprime qu’un fait linguistique, lequel suppose lui-même un fait historique, à savoir l’existence d’une nation.

Les langues nationales sur lesquelles reposent les langues indo-européennes historiquement attestées se sont constituées, puis ont perdu leur unité, à des dates diverses, et très éloignées les unes des autres. L’indo-iranien commun ne peut pas être reporté moins haut que la première moitié du second millénaire avant l’ère chrétienne. Au contraire le slave commun avait encore à l’époque de Charlemagne une unité qui permettait l’acquisition de mots nouveaux en commun, comme le montre le fait que le nom Karl de Charlemagne a été dans le slave tout entier affecté à désigner la notion de « roi ». Entre ces deux dates extrêmes s’intercalent les dates des diverses langues communes qu’on doit supposer : celtique commun (représenté par le gaulois, l’irlandais et le groupe brittonique (gallois, cornique et breton armoricain)), italique commun (d’où sont sortis l’ionien, l’éolien, le dorien, etc.) et ainsi de toutes les langues.

Le celtique a eu son unité à une date assez ancienne. Car le gaulois n’est que l’un des dialectes, déjà différencié, du celtique commun, et la grande expansion gauloise a eu lieu vers le milieu du premier millénaire avant l’ère chrétienne ; elle était arrêtée au IIIe siècle avant J.-C. environ, et depuis, sauf des avances insignifiantes, les nations de langue celtique n’ont plus subi que des reculs et des diminutions. Le gaulois est mort depuis le premier siècle de l’ère chrétienne, l’irlandais n’occupe plus qu’une petite partie de l’Irlande, le cornique a cessé de se parler en Cornouaille dès le XVIIIe siècle, le breton vivote dans l’Armorique française ; la plus vivace de toutes les langues celtiques, le gallois, n’est parlé que dans une province de médiocre étendue, où elle n’est pas la langue officielle. Nulle part un parler celtique n’est plus la langue d’une nation. Il est ainsi arrivé souvent que, après une période de progrès, un groupe de parlers indo-européens ait reculé, tendu même à disparaître. À cet égard, aucun exemple