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exemples de formules générales

peu intense ; si donc i et u inaccentués se sont amuïs en arménien ancien, tandis que a, e et o inaccentués se maintenaient, c’est sans doute que, comme en grec septentrional, les voyelles accentuées étaient sensiblement plus longues que les inaccentuées. De même il n’y a aucune raison de croire que le roman initial (dit latin vulgaire) ait eu un accent bien intense, et l’on sait que l’accent du français actuel comporte une très faible intensité : il est donc arbitraire de supposer que, à un moment de son histoire, le français aurait eu un accent du type allemand ou russe ; ce n’est pas un accent peu intense de ce type qui aurait entraîné les grandes réductions de voyelles observées dans le passage du latin en français : si camera est devenu chambre, ce n’est pas parce que ca- était accentué avec beaucoup plus de force que me et ra. Le développement est plutôt de type grec septentrional ; et, en effet, il a atteint la voyelle la plus ouverte, a, moins que les autres voyelles : nouu(m) a donné neuf, tandis que noua(m) a donné neuve  ; dès avant les premiers textes français, l’u de nouu(m) s’est amuï, tandis que l’a de noua(m) s’est réduit à e dit muet : et ce n’est qu’au cours de l’histoire du français, et même à date relativement récente, que l’e de neuve a cessé de se prononcer.

La recherche des conditions générales où les changements phonétiques peuvent se produire n’est qu’à ses débuts. Mais, dès maintenant, on y rencontre beaucoup de faits certains. Par exemple, une consonne appuyée, c’est-à-dire suivant une autre consonne, est plus forte, c’est-à-dire plus susceptible de durer, qu’une consonne placée entre voyelles ; le -t- intervocalique de dōtāre a disparu dans fr. douer ; mais le -t- précédé de -k- de lac-